[b]Projet d’une « Histoire sentimentale de mon pays » ou sous un autre titre, « La fin du monde romain’.[/b]
Ce serait une histoire qui serpente entre les événements connus de la grande histoire, l’histoire perçue par les gens comme par le bout du fil qui se dévide de génération en génération contenant toute la saveur du vécu et qui se démarque des reconstructions intellectuelles procurées par l’analyse rigoureuse des sources et le hasardeux travail de synthèse. Les gens simples détiennent une version plus vivante quoique imprécise ; ils vivent depuis toujours parmi les sources historiques. Celles-ci ne parlent pas un langage explicite, elles paraissent assez muettes, mais c’est à l’ombre de leurs murailles qu’on a toujours fait la pause du midi quand un soleil brûlant mûrit le blé qu’on fauche. A la fraîcheur du mur de pierre, ma mère étalait la blanche serviette à carrés rouges pour y déposer le pain, les tasses et les cerises. L’assise du portail béant garde encore les marques laissées par les chariots d’il y a mille ans. La tour est massive, abrupte et en été, pleine d’une fraîcheur saisissante. Notre vérité, c’est que nous ne savons pas concrètement la raison d’être de ce vieil édifice ; à quel réseau de forteresse appartient-il ? Aux mains de quelles familles fut-il ou quel peuple l’a desservi ? Nous le connaissons comme nous avons connu nos grands-pères, directement sans étudier l’Etat civil ni les généalogies. Nous n’allons pas dénombrer leurs mérites et exiger les preuves de leurs actes ! De quel droit odieux le ferions-nous alors que nous nous sommes nourris des fruits de leur fatigue et de leur constante et généreuse application ? L’arbre qui porte du fruit n’a pas besoin d’autres lettres de noblesse. Il offre immédiatement un condensé de son histoire, peut-être le seul valable à l’épreuve du temps. Les péripéties se sont effacées mais la réalité est là, vivante et tangible, assez riche pour nous fortifier.
Arwen Gernak - juin 2000 (Je n’ai jamais depuis couché une seule ligne sur ce sujet.)